1ère Journée
: Samedi 13 avril 2002
PLODIV
Ø
Visite de la vieille ville
Ø
Rencontre avec les religieux Assomptionnistes
(visite du pape à PLOVDIV le 26 mai et béatification de deux pères Assomptionnistes
exécutés en 1950). Rencontre avec le Père Gillier de 11 heures 30 à 13 heures.
Ø
Rencontre
avec le Président de l’Alliance Française en Bulgarie, M. Royet. ( à 13 heures
30)
Notre visite
à l'Alliance Française de Plövdiv, après l'entrée en matière, chez les Assomptionnistes,
avait tout d'abord pour but de nous éclairer sur la vivacité de la francophonie
dans ce pays qui, avec ou après la Roumanie et la Moldavie, est censé être
une place forte du français en Europe de l'est. Ensuite,
et c'est là l'essentiel, l'objectif est de recueillir le point de vue d'un
Français, immergé depuis de nombreuses années en Europe orientale, susceptible
de nous donner un premier aperçu de l'état du pays, des principaux problèmes
rencontrés, et de la place qu'y occupe le projet européen. La
rencontre avec monsieur Matthieu Royet a été particulièrement sympathique
et riche d'enseignements.
Le
Président de l’Alliance française a l’expérience des pays d’Europe de l’Est.
Après être resté pendant dix ans en Roumanie, M. Royet a fait l’expérience
de la Bulgarie.
Pour
lui, il ne fait aucun doute que la Bulgarie rêve d’appartenir à l’Union Européenne.
Mais la perspective de l’intégration suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétudes.
Le pays en effet doit faire face à de multiples problèmes.
En une
décennie, nous explique-t-il, la Bulgarie a connu une évolution sociale
équivalente à celle qu’a connu la France entre 1945 et 1975. L’Etat s’est
progressivement retiré d’un certain nombre de domaines ; la volonté
est réelle de mettre en place une économie de marché. Cependant, c’est un
libéralisme (importé) très sauvage qui s’est imposé. Trop sauvage, car les
règles, perverties, découragent les entreprises étrangères qui souhaitaient
s’implanter en Bulgarie. Par ailleurs, le niveau extrêmement
faible du salaire moyen dans le pays (125 euros, et une retraite à 30 euros !)
favorise l’éclosion du marché noir. La majorité des
Bulgares occupe (illégalement) plusieurs emplois en même temps. Le niveau
de vie est bas, et contraste singulièrement avec la présence de quelques multimillionnaires
qui s’affichent ostensiblement au volant de grosses cylindrées allemandes aux vitres fumées. Il est vrai qu’une partie du secteur privé
réussit très bien. Et souvent en marge de la loi, si loi il y a d'ailleurs.
Une infime part de la population a réussi à tirer profit
de l'après-communisme, notamment par le biais des privatisations.
Le
pays compte beaucoup moins d'habitants que ne le prétendent les chiffres officiels,
sept millions d'habitants, peut-être six, au lieu de huit et demi. "Ceux qui vont reconstruire la Bulgarie sont partis et ne reviennent pas".
En effet, outre la dénatalité, le fait que beaucoup de jeunes Bulgares
ne voient leur salut que dans un exil souvent sans retour, prouve que les
perspectives d'un avenir meilleur restent rares. Le
départ massif des étudiants Bulgares
vers l’étranger est problématique pour ce pays qui aurait besoin d’un
renouvellement de l’élite politique (sachant que le taux de natalité est à
la mesure du niveau de vie, très faible). D’autre
part, il y aurait un véritable gain pour le pays à redonner place aux formations
techniques, car il y a trop d’intellectuels bien inutiles aujourd’hui en Bulgarie.
Mais
si l'on met de côté les militaires, les policiers et les douaniers relativement
protégés pour des raisons facilement compréhensibles, toute la partie de la
population dépendant, d'une façon ou d'une autre, de l'Etat rencontre de graves
difficultés pour vivre. Les retraités vivotent avec des pensions étiques,
les professeurs ont recours aux cours privés... Cette faiblesse, a tout point
de vue, est destructrice pour la société. Cela conduit a un mépris souverain
de toute loi voire de toute morale. "Toute
règle est un décor" dont on profite. Quoi qu'il en soit, "l'éthique
ne nourrit pas. " Entre la bonne volonté et la survie... En Bulgarie,
la seule loi est souvent celle de la nécessité. Ce qui conduit par exemple
un grand nombre de professeurs à ne faire réellement cours que lors de cours
privés particuliers payés par les parents d 'élèves assez riches pour le faire.
L'étatisme le plus absolu, le plus étouffant a cédé la place à un précapitalisme
sauvage, avec
à la clef donc des enseignants qui sont prêts à tout pour vendre leur savoir
à leurs élèves... Il n'est pas rare qu'un fonctionnaire trop peu payé trouve
ainsi d'autres sources de revenu...
L'économie
bulgare s'apparente souvent à une économie de rapine. Tout s'achète pourvu
qu'on en ait les moyens ou les relations.
Vente à l'encan de toutes les richesses d'un pays... Les profits,
le fruit des privatisations vont à l'ouest, ou dans la poche des mafias. Tout
est négociable. La loi est changeante, contradictoire, donc on en joue. A
cela s'ajoute une corruption endémique, presque quotidienne. "En
Pologne on achète un juge. En Bulgarie aussi, mais moins cher!" Le
prix des diplômes est connu des étudiants. Pour entrer dans un lycée bilingue,
il suffit de se faire dispenser de tests... La partie "productive"
du pays s'en sort en jouant avec les règles ,et l'autre non directement productive,
mais qui est au combien importante pour le long terme, souffre. La corruption
est une vieille culture : cinq siècles de régime
Ottoman ont développé la culture du bakchich ; et cette culture s’est
renforcée avec le régime communiste. A cela s’ajoute
une inflation législative qui crée un environnement juridique flou, avec failles
et contradictions, ce qui permet toujours à qui veut de contourner la loi.
En réalité, toute la
difficulté provient d’une masse de richesses trop insuffisante pour éviter
la corruption (il faudrait payer davantage les juges, les policiers, les douaniers… !). D’où
l’absolue nécessité pour l’UE de délivrer des crédits massifs au pays (or,
à Bruxelles, tout fonctionne par lobbying, et les groupes de pression Bulgares
y sont quasiment inexistants ). La Bulgarie est globalement en plus mauvais état encore
que dans les années
70. C'est tout dire. Si l'on ajoute une société civile plutôt apathique...
Le "chacun pour soi " règne, à quelques exceptions près. "La
Bulgarie, elle, aurait sans doute grand besoin d'une CGT ou d'une Force Ouvrière!"
Toutefois,
contrairement à la Roumanie qui pour certains est "engagée
sur une pente sans fin", le pays dispose d'atouts réels. Tout d'abord peut-être le consensus qui
règne au sein de la population, qui a bien conscience que le tunnel, dans
lequel le pays est engagé, dispose d'une seule sortie qui s'appelle Union
Européenne et démocratie de marché. Ce qui permet à un gouvernement, qui mesure
tout à fait les enjeux, d'agir efficacement. La monnaie par exemple a été
stabilisée et devrait le rester. L'aspiration à l'ouest, à la modernité est
donc très forte. Cela reste le premier des atouts. Il y en a d'autres. Une
avance technologique relative par exemple, Plovdiv est une ville câblée à
95%, des académies Cisco s'y installent, les jeunes Bulgares sont particulièrement
brillants dans les sciences pures ou dans l'informatique. La Bulgarie dispose
par ailleurs d'une agriculture de qualité, non polluée, le "bio"
peut y être un créneau d'avenir. Enfin, la population reste bien formée par
rapport au coût du travail, c'est
un atout pour les investisseurs occidentaux.
Il
faut à tout prix que l'Union Européenne actuelle fasse en sorte que
les Bulgares, qui font beaucoup d'efforts et de sacrifices, gardent
l'espérance. L'UE dispose d'un vrai
"savoir faire", mais le "faire savoir" reste à améliorer.
Il faut éviter de formuler une réponse uniquement administrative aux demandes
de ces pays, et il importerait de mieux faire connaître l'UE. La disparition
des visas Schengen pour les séjours de moins de 90 jours en Europe a été vue
comme une avancée par la population. Il est nécessaire de multiplier ces signes
d'encouragement. L'entrée, probablement fractionnée, des pays d'Europe centrale
et orientale dans l'Union Européenne risque de créer de nouvelles fractures.
Il faudra les atténuer. Et après la transition, le choc de l'intégration devra
être pris en compte. Il serait également opportun de faire connaître les PECO
en Occident. Eux connaissent la France ou l'Allemagne mais, nous, quelle image
avions-nous de la Roumanie, de la Bulgarie? La Roumanie a mauvaise réputation
pour ses orphelinats, quant à la Bulgarie, c'est une "terra incognita"
le plus souvent... Bref, il y a un besoin urgent de communication
et de dialogue. Chose que nous nous sommes efforcés de faire durant ces dix
jours.
L'Alliance
française compte huit missions, et mille membres dans toute la Bulgarie. Son
siège est à Plovdiv (pour éviter de faire doublon, à Sofia, avec un autre
organisme lié à l'ambassade). Son budget annuel est de 72000 euros. Elle s'efforce
donc de proposer des cours à la portée de tous : Deux levas de l'heure (soit
un euro), ce qui n'est pas cher, de même que l'abonnement pour accéder aux
documents, livres et revues. La francophonie en Bulgarie reste dynamique,
même s'il ne faut pas exagérer son ampleur. Face à la force d'attraction du
monde anglo-saxon, il est quelquefois difficile de faire jeu égal. Lorsque
Soros arrive, c'est avec plusieurs millions de dollars. S'y ajoute l'attractivité
naturelle des Etats-Unis. Eux n'ont pas besoin de faire d'efforts particuliers
de communication!
Que
dire en conclusion ?
D'après nos premières impressions, d'après
le portrait qui vient de nous être fait, il serait hypocrite de ne pas dire
que la Bulgarie est manifestement un pays en très mauvaise santé. Ce
n'est en aucun cas insulter les habitants que d'affirmer cela. Et cela ne
signifie pas qu'il n'y ait pas d'embellie possible. Il n'est pas anormal qu'un
des pays les plus ruraux de l'Europe de l'est ait le plus souffert de l'histoire
tourmentée du siècle dernier. Disons que le gros problème de la Bulgarie reste,
s'il faut le résumer en un mot, la faiblesse de l'Etat. Plus
personne n'est là pour assumer les missions premières d'encadrement de la
société. Les filets de sécurité que peuvent être les systèmes d'assurance
vieillesse ou chômage sont en lambeaux, la corruption règne en maître, le
manque de travail, les discriminations, les inégalités, les dégradations urbaines,
la pauvreté sont criantes. La loi reste une donnée très
fictive. Des progrès ont manifestement été faits mais la noirceur de la situation
reste l'impression principale. Partir de beaucoup plus
bas rend l'effort à accomplir plus important encore. Du chemin reste à faire.
Il sera fait. Les solutions existent. Elle requièrent,
là encore, l'aide européenne. Rendre les fonctionnaires, les enseignants,
les juges, vraiment intouchables par exemple, en augmentant
fortement leurs salaires (qui sont ridicules, les rendant vulnérables aux
tentations) contribuerait à mettre fin aux pratique douteuses énoncées plus
haut.
Enfin, comme l’explique M. Royet, il est primordial de recréer une société civile, de remettre en place toute une culture de l’initiative qui, pendant de trop longues années, a été bridée par le régime communiste.