Compte-rendu de la semaine

 

1ère Journée : Samedi 13 avril 2002

 

PLODIV

 

Ø      Visite de la vieille ville

 

Ø      Rencontre avec les religieux Assomptionnistes (visite du pape à PLOVDIV le 26 mai et béatification de deux pères Assomptionnistes exécutés en 1950). Rencontre avec le Père Gillier de 11 heures 30 à 13 heures.

 

Compte-rendu

 

En Bulgarie, les catholiques représentent à peine 1% de la population. Les premiers Assomptionnistes ne sont arrivés dans le pays dès 1863. Leurs principaux défis : l’unité de l’église et la mise en place de missions humanitaires. Notre interlocuteur nous apprend qu’en comparaison avec les Serbes et les Grecs - qui sont farouchement nationalistes - , les Bulgares sont beaucoup plus ouverts à ce sujet.

 

L’histoire permet de comprendre pourquoi les Assomptionnistes sont venus en Bulgarie. C’est le Pape Pie IX qui demanda au fondateur des Assomptionnistes, le P. Emmanuel d'Alzon, d'envoyer des religieux en Bulgarie pour s'occuper plus spécialement des Bulgares orthodoxes désireux d'entrer dans l'Eglise catholique.
Ces orthodoxes devenus catholiques furent appelés Uniates, un terme qui a aujourd'hui une résonance péjorative. Avant le mouvement œcuménique des années 1950, l’œcuménisme, du point de vue catholique, était considéré comme un retour à Rome et non pas comme une communion d'Eglises sœurs ainsi que le concile Vatican II l'a admis. Le Père Victorin Galabert, docteur en médecine et en Droit canonique, devint le fondateur de la mission Assomptionniste en Bulgarie , connue alors sous le nom de "Mission d'Orient".Et le Père d'Alzon, pour aider les Pères, fonda une congrégation féminine "Ies Oblates de l'Assomption" qui créa successivement des écoles à Sofia, Yambol, Varna et Sliven. Les Assomptionnistes, eux, ont créé en 1864 la petite école primaire St André à Philippopoli en attendant d'y fonder en 1884, un collège d'enseignement secondaire, le collège Saint Augustin qui deviendra rapidement l'un des établissements les plus prestigieux des Balkans jusqu'à sa fermeture par les Communistes en 1948. Les Assomptionnistes prennent la responsabilité de plusieurs paroisses où les deux rites, latin et byzantin cohabitent. Plusieurs Assomptionnistes se font ordonner dans le rite byzantin.Trois séminaires sont établis et animés par les Assomptionnistes à Andrinople, Koura Kapou ( rive européenne d'Istanbul ) et à Kadiköy ( rive asiatique d'Istanbul ). N'oublions pas qu'alors, la Bulgarie n'a pas encore conquis son indépendance mais se trouve sous l'occupation turque. Les Assomptionnistes vont du reste établir quelques 27 résidences en Turquie, fonder des missions en Roumanie, en Grèce, en Russie, en Palestine, en Yougoslavie.

 

La Bulgarie sera, de fait, le point de départ de cette forte présence Assomptionniste en Orient. L'apostolat direct est doublé d'un apostolat intellectuel avec la création à Kadiköy en 1897 des "Echos d'Orient", du Centre des Etudes Byzantines, par Monseigneur Louis Petit, futur archevêque Assomptionniste d'Athènes. En Bulgarie même, à la fin de la deuxième guerre mondiale, 20 religieux Assomptionnistes de nationalité bulgare, exercent leur apostolat dans le pays, au collège de Plovdiv et dans les paroisses catholiques.

 

En 1948, le régime communiste expulse tous les religieux non bulgares dont les Assomptionnistes. L’effondrement à l’Est et l’avènement de la République en 1990 (et donc la fin de la République populaire) signent le retour à la tolérance religieuse.

 

 

Ø      Rencontre avec le Président de l’Alliance Française en Bulgarie, M. Royet. ( à 13 heures 30)

 

Compte-rendu

 

Notre visite à l'Alliance Française de Plövdiv, après l'entrée en matière, chez les Assomptionnistes, avait tout d'abord pour but de nous éclairer sur la vivacité de la francophonie dans ce pays qui, avec ou après la Roumanie et la Moldavie, est censé être une place forte du français en Europe de l'est. Ensuite, et c'est là l'essentiel, l'objectif est de recueillir le point de vue d'un Français, immergé depuis de nombreuses années en Europe orientale, susceptible de nous donner un premier aperçu de l'état du pays, des principaux problèmes rencontrés, et de la place qu'y occupe le projet européen. La rencontre avec monsieur Matthieu Royet a été particulièrement sympathique et riche d'enseignements.

 

Le Président de l’Alliance française a l’expérience des pays d’Europe de l’Est. Après être resté pendant dix ans en Roumanie, M. Royet a fait l’expérience de la Bulgarie.

Pour lui, il ne fait aucun doute que la Bulgarie rêve d’appartenir à l’Union Européenne. Mais la perspective de l’intégration suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétudes. Le pays en effet doit faire face à de multiples problèmes.

En une décennie, nous explique-t-il, la Bulgarie a connu une évolution sociale équivalente à celle qu’a connu la France entre 1945 et 1975. L’Etat s’est progressivement retiré d’un certain nombre de domaines ; la volonté est réelle de mettre en place une économie de marché. Cependant, c’est un libéralisme (importé) très sauvage qui s’est imposé. Trop sauvage, car les règles, perverties, découragent les entreprises étrangères qui souhaitaient s’implanter en Bulgarie. Par ailleurs, le niveau extrêmement faible du salaire moyen dans le pays (125 euros, et une retraite à 30 euros !) favorise l’éclosion du marché noir. La majorité des Bulgares occupe (illégalement) plusieurs emplois en même temps. Le niveau de vie est bas, et contraste singulièrement avec la présence de quelques multimillionnaires qui s’affichent ostensiblement au volant de grosses cylindrées allemandes aux vitres fumées. Il est vrai qu’une partie du secteur privé réussit très bien. Et souvent en marge de la loi, si loi il y a d'ailleurs. Une infime part de la population a réussi à tirer profit de l'après-communisme, notamment par le biais des privatisations.

 

Le pays compte beaucoup moins d'habitants que ne le prétendent les chiffres officiels, sept millions d'habitants, peut-être six, au lieu de huit et demi. "Ceux qui vont reconstruire la Bulgarie sont partis et ne reviennent pas". En effet, outre la dénatalité, le fait que beaucoup de jeunes Bulgares ne voient leur salut que dans un exil souvent sans retour, prouve que les perspectives d'un avenir meilleur restent rares. Le départ massif des étudiants Bulgares vers l’étranger est problématique pour ce pays qui aurait besoin d’un renouvellement de l’élite politique (sachant que le taux de natalité est à la mesure du niveau de vie, très faible). D’autre part, il y aurait un véritable gain pour le pays à redonner place aux formations techniques, car il y a trop d’intellectuels bien inutiles aujourd’hui en Bulgarie.

Mais si l'on met de côté les militaires, les policiers et les douaniers relativement protégés pour des raisons facilement compréhensibles, toute la partie de la population dépendant, d'une façon ou d'une autre, de l'Etat rencontre de graves difficultés pour vivre. Les retraités vivotent avec des pensions étiques, les professeurs ont recours aux cours privés... Cette faiblesse, a tout point de vue, est destructrice pour la société. Cela conduit a un mépris souverain de toute loi voire de toute morale. "Toute règle est un décor" dont on profite. Quoi qu'il en soit, "l'éthique ne nourrit pas. " Entre la bonne volonté et la survie... En Bulgarie, la seule loi est souvent celle de la nécessité. Ce qui conduit par exemple un grand nombre de professeurs à ne faire réellement cours que lors de cours privés particuliers payés par les parents d 'élèves assez riches pour le faire. L'étatisme le plus absolu, le plus étouffant a cédé la place à un précapitalisme sauvage, avec à la clef donc des enseignants qui sont prêts à tout pour vendre leur savoir à leurs élèves... Il n'est pas rare qu'un fonctionnaire trop peu payé trouve ainsi d'autres sources de revenu...

 

L'économie bulgare s'apparente souvent à une économie de rapine. Tout s'achète pourvu qu'on en ait les moyens ou les relations. Vente à l'encan de toutes les richesses d'un pays... Les profits, le fruit des privatisations vont à l'ouest, ou dans la poche des mafias. Tout est négociable. La loi est changeante, contradictoire, donc on en joue. A cela s'ajoute une corruption endémique, presque quotidienne. "En Pologne on achète un juge. En Bulgarie aussi, mais moins cher!" Le prix des diplômes est connu des étudiants. Pour entrer dans un lycée bilingue, il suffit de se faire dispenser de tests... La partie "productive" du pays s'en sort en jouant avec les règles ,et l'autre non directement productive, mais qui est au combien importante pour le long terme, souffre. La corruption est une vieille culture : cinq siècles de régime Ottoman ont développé la culture du bakchich ; et cette culture s’est renforcée avec le régime communiste. A cela s’ajoute une inflation législative qui crée un environnement juridique flou, avec failles et contradictions, ce qui permet toujours à qui veut de contourner la loi.

En réalité, toute la difficulté provient d’une masse de richesses trop insuffisante pour éviter la corruption (il faudrait payer davantage les juges, les policiers, les douaniers… !). D’où l’absolue nécessité pour l’UE de délivrer des crédits massifs au pays (or, à Bruxelles, tout fonctionne par lobbying, et les groupes de pression Bulgares y sont quasiment inexistants ). La Bulgarie est globalement en plus mauvais état encore que dans les années 70. C'est tout dire. Si l'on ajoute une société civile plutôt apathique... Le "chacun pour soi " règne, à quelques exceptions près. "La Bulgarie, elle, aurait sans doute grand besoin d'une CGT ou d'une Force Ouvrière!"

 

Toutefois, contrairement à la Roumanie qui pour certains est "engagée sur une pente sans fin", le pays dispose d'atouts réels. Tout d'abord peut-être le consensus qui règne au sein de la population, qui a bien conscience que le tunnel, dans lequel le pays est engagé, dispose d'une seule sortie qui s'appelle Union Européenne et démocratie de marché. Ce qui permet à un gouvernement, qui mesure tout à fait les enjeux, d'agir efficacement. La monnaie par exemple a été stabilisée et devrait le rester. L'aspiration à l'ouest, à la modernité est donc très forte. Cela reste le premier des atouts. Il y en a d'autres. Une avance technologique relative par exemple, Plovdiv est une ville câblée à 95%, des académies Cisco s'y installent, les jeunes Bulgares sont particulièrement brillants dans les sciences pures ou dans l'informatique. La Bulgarie dispose par ailleurs d'une agriculture de qualité, non polluée, le "bio" peut y être un créneau d'avenir. Enfin, la population reste bien formée par rapport au coût du travail, c'est un atout pour les investisseurs occidentaux.

 

Il faut à tout prix que l'Union Européenne actuelle fasse en sorte que  les Bulgares, qui font beaucoup d'efforts et de sacrifices, gardent l'espérance.  L'UE dispose d'un vrai "savoir faire", mais le "faire savoir" reste à améliorer. Il faut éviter de formuler une réponse uniquement administrative aux demandes de ces pays, et il importerait de mieux faire connaître l'UE. La disparition des visas Schengen pour les séjours de moins de 90 jours en Europe a été vue comme une avancée par la population. Il est nécessaire de multiplier ces signes d'encouragement. L'entrée, probablement fractionnée, des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union Européenne risque de créer de nouvelles fractures. Il faudra les atténuer. Et après la transition, le choc de l'intégration devra être pris en compte. Il serait également opportun de faire connaître les PECO en Occident. Eux connaissent la France ou l'Allemagne mais, nous, quelle image avions-nous de la Roumanie, de la Bulgarie? La Roumanie a mauvaise réputation pour ses orphelinats, quant à la Bulgarie, c'est une "terra incognita" le plus souvent... Bref, il y a un besoin urgent de communication et de dialogue. Chose que nous nous sommes efforcés de faire durant ces dix jours.

 

L'Alliance française compte huit missions, et mille membres dans toute la Bulgarie. Son siège est à Plovdiv (pour éviter de faire doublon, à Sofia, avec un autre organisme lié à l'ambassade). Son budget annuel est de 72000 euros. Elle s'efforce donc de proposer des cours à la portée de tous : Deux levas de l'heure (soit un euro), ce qui n'est pas cher, de même que l'abonnement pour accéder aux documents, livres et revues. La francophonie en Bulgarie reste dynamique, même s'il ne faut pas exagérer son ampleur. Face à la force d'attraction du monde anglo-saxon, il est quelquefois difficile de faire jeu égal. Lorsque Soros arrive, c'est avec plusieurs millions de dollars. S'y ajoute l'attractivité naturelle des Etats-Unis. Eux n'ont pas besoin de faire d'efforts particuliers de communication!

 

Que dire en conclusion ?

D'après nos premières impressions, d'après le portrait qui vient de nous être fait, il serait hypocrite de ne pas dire que la Bulgarie est manifestement un pays en très mauvaise santé. Ce n'est en aucun cas insulter les habitants que d'affirmer cela. Et cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'embellie possible. Il n'est pas anormal qu'un des pays les plus ruraux de l'Europe de l'est ait le plus souffert de l'histoire tourmentée du siècle dernier. Disons que le gros problème de la Bulgarie reste, s'il faut le résumer en un mot, la faiblesse de l'Etat. Plus personne n'est là pour assumer les missions premières d'encadrement de la société. Les filets de sécurité que peuvent être les systèmes d'assurance vieillesse ou chômage sont en lambeaux, la corruption règne en maître, le manque de travail, les discriminations, les inégalités, les dégradations urbaines, la pauvreté sont criantes. La loi reste une donnée très fictive. Des progrès ont manifestement été faits mais la noirceur de la situation reste l'impression principale. Partir de beaucoup plus bas rend l'effort à accomplir plus important encore. Du chemin reste à faire. Il sera fait. Les solutions existent. Elle requièrent, là encore, l'aide européenne. Rendre les fonctionnaires, les enseignants, les juges, vraiment intouchables par exemple, en augmentant fortement leurs salaires (qui sont ridicules, les rendant vulnérables aux tentations) contribuerait à mettre fin aux pratique douteuses énoncées plus haut.

 

Enfin, comme l’explique M. Royet, il est primordial de recréer une société civile, de remettre en place toute une culture de l’initiative qui, pendant de trop longues années, a été bridée par le régime communiste.

 

2ème journée...